s square eprceCette citation est extraite de "Le Cauchemar climatisé" d’Henry Miller :

Durant la Seconde Guerre Mondiale, Henry Miller est obligé de retourner aux Etats-Unis. Il a du mal avec son pays natal… 

"Ce qui m’attriste le plus, c’est la vue des voitures garées devant les usines. La voiture est pour moi le parfait symbole de la fausseté et de l’illusion. Il y en a des milliers et des milliers, et l’on pourrait croire, devant cette profusion, que tout le monde ici a les moyens de s’en offrir une. En Europe, en Asie, en Afrique, les masses laborieuses de l’humanité regardent avec des yeux humides ce Paradis, où l’ouvrier se rend au travail au volant de sa propre voiture. Voilà un monde magnifique où tout semble possible, se disent-ils. (Du moins, nous aimons croire qu’ils pensent ainsi !) Ils ne se demandent jamais ce qu’il faut faire pour accéder à cette bénédiction céleste. Ils ne réalisent pas qu’à l’instant où l’ouvrier américain descend de son précieux charriot de métal il se livre corps et âme au travail le plus lénifiant qu’un homme puisse accomplir. Ils n’imaginent pas qu’on puisse, y compris dans les meilleures conditions de travail, abandonner tous ses droits en tant qu’être humain. Ils ignorent que ces conditions de travail optimales, comme on dit dans notre jargon, sont synonymes de profits-record pour les patrons, de servitude ultime pour la main d’oeuvre, et de confusion maximale pour les foules désenchantées. Ils voient les autos rutilantes et ronronnantes comme des félins ; les routes infinies au bitume si net et lisse que les conducteurs se mettent à bailler ; les cinémas aux allures de palais ; les mannequins en robes de princesses dans les grands magasins… Ils voient l’éclat des paillettes, la peinture fraîche, les babioles, les gadgets, et les luxes en tout genre ; mais ils ne voient pas l’amertume des coeurs, le scepticisme, le cynisme, le vide, la stérilité, le désespoir, la désespérance qui ronge le travailleur américain. Ils ne veulent pas voir cela, car ils sont eux-mêmes prisonniers du malheur. Tout ce qu’ils veulent, c’est une issue de secours : ils veulent notre confort, nos équipements, nos luxes mortels. Alors ils marchent dans nos pas. Ils nous suivent aveuglément. Tête baissée. Au mépris du danger. "


Henry Miller, The Air-Conditioned Nightmare (Le Cauchemar climatisé), 1945. Traduction française de Valentin Martinie. 

source : https://compagnieaffable.com/2019/08/07/le-cauchemar-climatise-dhenry-miller-lillusion-des-voitures/